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La route qui mène à la montagne est sèche, même si ce mois de septembre 2014 est plutôt humide, la forêt regorge d’eau, il fait doux. Je suis ces lacets de bitume que je connais si bien. En prenant de la hauteur, Martigny devient si petite. Je l’ai vu tant de fois d’en haut, la nuit elle a des airs de Los Angeles avec ses rues droites et son éclairage blafard. C’est souvent la réflexion que je me faisais lorsque je redescendais de Finhaut en faisant une halte pour contempler la vue de nuit, pour réfléchir, pour digérer mon passage dans le village de mon père.

Aujourd’hui je fais le chemin vers ce petit village accroché à la montagne avec les cendres de mon père. Il revient par la route, sans la voir. Une dernière fois, un dernier voyage que l’on fait ensemble. Il ne s’arrêtera pas dans ses lieux préférés, impatient à l’idée de prendre son apéro, d’échanger dans les lieux publics où il passait la plupart de sont temps. Là où les éclats de voix au fort accent valaisan se font entendre, dès que l’on parle barrage, hydrodollars ou encore du Président de commune. Ces lieux finalement étroits où tout se fait ou se défait, les rêves et les projets qui prennent parfois formes, s’oublient ou se réalisent, peu importe. C’est là qu’il a passé sa vie.

C’est derrière l’église que je l’emmène; étrange pour un homme qui n’aimait pas les curés. Mais dans l’enceinte du cimentière, je comprends mieux; il y a la vue sur la vallée, sur ce grand hôtel du XIX aujourd’hui désuet. C’était le plus majestueux d’une époque faste et maintenant oubliée, juste en dessous duquel sa petite maison faisait face à la vallée, au Martigny-Châtelard-Chamonix et sa voie électrifiée. Combien de fois l’a-t-il entendu, vu passer, combien de signes au conducteur depuis cette terrasse exposée plein sud. Derrière sa barbe, mon père regardait sa montagne et son jardin en friche, son chat comme seul témoin, assis sur sa chaise de brocante.

Il est un peu plus haut maintenant dans ce village qu’il aimait tant. Je porte sous mon bras les cendres qui marquent ainsi son retour. Parti il y a maintenant trois ans pour allez mourir en plaine – la vie est pleine d’ironie avec ceux qui aiment la montagne- mon père n’était revenu qu’épisodiquement ici, ses forces le quittant. Mais il l’emporte finalement sur la mort, il est avec sa montagne, accroché à son flanc, pour toujours, les souffrances et ses démons en moins.

Tout se termine ici, aujourd’hui. Ne reste que les souvenirs, les écrits, les images et cette voix qui résonne parfois. Finhaut deviendra pour moi le lieu où se trouve la mémoire de mon père. Son petit-fils y viendra peut-être un jour pour le voir, qui sait.

Le jardin en friche…