Seul devant, assis sur mon village, plus exactement sur une terrasse qui refuse l’ombre et plus confortablement sur une bonne chaise, celle qui ne laisse pas de trace, interne ou externe, facile à quitter, une chaise bien étudiée que l’on ne trouve pas hélas dans les salles d’attentes où le temps paraît plus long, ceci expliquant cela. Seul devant donc, n’y voyez pas là ma position lors d’une épreuve sportive, il faudrait alors que l’imagination, même débordante, dépasse la réalité, ce qui est impossible chez moi. A propos d’imagination, il en faut un peu-beaucoup, mais je subodore que vous n’en manquez pas pour lire ces lignes. Seul devant, assis dès lors dans mon théâtre imaginaire, je vous sens derrière spectateurs d’un jour bien installés dans cette salle que je nomme Finhaut.

En face un petit hameau accroché comme un miracle à la pente rocheuse, abandonné, oublié au bout d’un chemin surprenant, déserté avec ses interrogations, c’est Litroz ma scène à l’envers des convers. Le décor est planté. Une caricature fait l’essentiel de l’affiche pour un spectacle que je sens déjà retentissant par l’écho de la roche. Le rideau s’ouvre. Apparaît, seul sur cette scène le Baron de l’endroit, un petit homme à la barbe blanche bien embroussaillée, les cheveux en vrac dépassant d’un chapeau qui visiblement n’en finit pas de vieillir, une blouse sans couleur de magasinier fortement allergique au fer à repasser et de bottes en caoutchouc disproportionnées à notre petit homme. Un regard malin de brocanteur se devine dans ce décor. L’acteur du moment lance alors à la cantonade d’une voix forte qui surprend et paralyse l’assistance : « Ne négligez pas l’absurde, il peut vous enrichir »

Ici se termine mon théâtre imaginaire pour la vraie et belle histoire de la vierge du baron.

Pas de sang bleu pour notre homme, un titre qui lui vient comme une étiquette de la rumeur publique lors de l’achat de (son village). Ce jour là, de passage à Genève, ville qu’il fréquente régulièrement pour affaire, véritable mine pour brocanteur, dit-il. Un détour s’impose chaque fois chez Emmaüs, son supermarché en quelques sortes où l’action du jour se transforme en surprise. Mais il faut avoir l’œil, ceci étant l’arme de notre commerçant. Il déambule assez rapidement car ses objectifs sont professionnels donc bien ciblés. Il reste indifférent à l’odeur qui baigne en ces locaux, un mélange des métiers qui va du vieux livre à la cire bon marché pour embellir l’ancien meuble. Il est vrai que chaque profession à son odeur, pensez à votre dentiste, votre boulanger, votre marchand d’huile de chauffage, votre fleuriste, votre fromager et votre cordonnier, une exception pourtant poussez la porte de votre banque, (si pas automatique), aucune senteur, ce qui nous prouve que l’argent n’a pas d’odeur, or mis celle du désodorisant appliqué à hautes doses par la belle dame qui vous précède et qui se mélange dangereusement avec celui de l’employé. A ce propos, ayons une pensée particulière aux chauffeurs de bus dans le petit matin.

C’est dans cette atmosphère que notre baron est stoppé net dans cet inventaire à la Prévert, son regard est comme paralysé par celui d’une grande statue empoussiérée. Bizarrement, même en se déplaçant, ces yeux ne le quittent pas, on dirait la Joconde, pensa-t-il ! La Sainte-Vierge, les bras tendus, accueillants, c’est comme un rêve, une illumination, sensations brèves mais fortes qui l’éloignent quelques instants de la réalité. Mais que fait Marie dans cet amas de vieillerie et de plus chez les protestants ? C’est perturbé, voir fâché que notre commerçant interpelle l’employé du moment visiblement d’une autre culture et s’entendre répondre en mauvais français, que pour cent francs il pouvait « l’en débarrasser ». Le souffle court, notre baron lui tendit immédiatement un billet bleu presque avec plaisir, ce qui est rare chez un brocanteur. L’urgence était d’alors de quitter ces lieux et d’éloigner Marie de la cité de Calvin.

C’est incroyable, ce que ce petit homme peut changer l’atmosphère par un sentiment de nervosité, c’est qu’il veut disparaître au plus vite avec son acquisition, le bougre. Il s’agite beaucoup à résoudre le premier problème qui se présente, à savoir, rejoindre l’automobile avec délicatesse. Le climat se détériore rapidement dans son espace et perturbe peu à peu les bras ballants qui ornent les allées de ce grand bazar. Il réussit à emprunter un engin à deux roues pour un déplacement plus aisé. L’image est belle, la Sainte Vierge quittant la Genève protestante sur un diable. La route n’est alors qu’un long monologue, son ange-gardien le félicite pour son achat alors que son petit diable lui promet une bonne affaire de plus. Mais non, notre baron reste convaincu que l’on ne peut vendre un objet saint. Par une nuit de bons conseils, il décide que Marie protégera, si elle le veut, son village, c’est ainsi qu’aujourd’hui, posée sur son socle, elle domine, les bras accueillants ce pittoresque endroit. Précision, son regard fixe la porte d’entrée de la maison préférée de notre propriétaire. Au petit matin en ouvrant, il trouve ses premières vitamines, disait-il. Malheureusement aujourd’hui la demeure reste close. Pour ma part, permettez que je m’en retourne à mon spectacle imaginaire, c’est hélas la fin et notre acteur seul devant, sur cette belle scène, derrière une longue vue lance à la cantonade, « attention, on ne peut effacer les traces de l’insouciance ». Mon rideau tout aussi imaginaire tombe derrière les Perrons avec le soleil.

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